Burundi. Le retrait de la CPI ne fera pas dérailler le cours de la justice
L’équipe Justice Internationale d’Amnesty International examine le retrait du Burundi de la CPI et ses conséquences pour les victimes des crimes internationaux commis dans le pays. L’équipe d’Amnesty International au Burundi a aussi contribué à l’analyse. Ce qui suit est une traduction informelle de notre article originellement publié en anglais le 27 octobre et disponible ici.
Dans un rapport d’août 2017, la Commission d’enquête sur le Burundi affirme qu’il existe des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité ont été commis dans le pays depuis avril 2015. Ce constat avait déjà été fait lors d’une enquête indépendante menée par l’ONU. C’est donc dans un contexte inquiétant et peu favorable aux droits de l’homme que le retrait du Burundi est devenu effectif ce 27 octobre 2017.
Pour la première fois de son histoire, la Cour se retrouve donc confrontée à un État se retirant du Statut de Rome dans le but de stopper l’enquête de la Cour, et d’empêcher d’éventuelles poursuites pour les crimes commis dans le cadre d’une situation qui fait l’objet d’un examen préliminaire par le Bureau du Procureur.
Son retrait du Statut de Rome n’affecte en aucun cas l’obligation du Burundi de mettre fin aux violations massives des droits de l’homme et de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour que les auteurs des crimes au Burundi soient traduits en justice. Cependant, le retrait porte atteinte à la relation entre le Burundi et la CPI. Ce blog a pour but d’analyser deux questions différentes, mais intrinsèquement liées, à savoir, d’une part, si le retrait affectera la compétence de la Cour pour les crimes commis avant la date à laquelle le retrait a pris effet (et donc la possibilité pour le Procureur de demander l’ouverture formelle d’une enquête) et d’autre part, si le Burundi sera toujours tenu par une obligation de coopération après le 27 octobre ?
Juridiction de la Cour Pénale Internationale
Concernant la possibilité d’obtenir justice devant la CPI pour les crimes commis au Burundi, tout n’est pas perdu pour les victimes burundaises. En effet, la compétence ratione temporis de la Cour sur les crimes commis au Burundi avant que le retrait ne prenne effet n’est pas affectée. Dans son rapport sur les activités menées en 2016 en matière d’examen préliminaire, le Bureau du Procureur déclarait que « cet examen [pouvait] également porter sur d’autres crimes susceptibles d’être commis au Burundi dans le cadre de cette situation jusqu’à ce que le retrait en question devienne effectif, à savoir un an après sa notification au Secrétaire général de l’ONU ». La question est donc plutôt de savoir si le Procureur peut ouvrir une enquête une fois le retrait devenu effectif pour les crimes qui relèvent de sa compétence temporelle.
La situation actuelle est unique dans l’histoire de la Cour et aucune jurisprudence n’existe sur le sujet. Un climat d’incertitude règne donc autour des différentes questions juridiques qui se posent. Le rapport du Bureau du Procureur, mentionné plus haut, sur ses activités en matière d’examen préliminaire de 2016 continue d’ailleurs ainsi: « d’après son évaluation juridique de la situation, le Bureau pourrait ouvrir une enquête au cours de cette période d’un an ». La position d’Amnesty est de dire qu’une enquête peut toujours être ouverte, et ce même après que le retrait soit devenu effectif. En effet, rien dans le Statut de Rome ne prévoit que la juridiction existante de la Cour s’éteindrait après que le retrait ait pris effet, et l’interprétation juridique correcte (en appliquant par exemple l’Article 70(1)(b) de la Convention de Vienne sur le droit des traités) est que le retrait annule la compétence de la Cour pour les crimes commis au Burundi après le moment où le retrait est devenu effectif. Toute autre interprétation irait à l’encontre de l’objet et du but du Statut de Rome en ce qu’elle inciterait les États à s’en retirer pour éviter la compétence de la Cour et faciliterait de cette manière l’impunité. Si la Cour maintient sa compétence pour les crimes commis avant le retrait du Burundi, alors une simple lecture de l’article 15(1) du Statut implique que le Procureur puisse toujours ouvrir une enquête après le 27 octobre 2017 pour les crimes commis avant cette date.
Cette interprétation semble être confirmée par le texte de l’article 127(2) qui dispose que le retrait d’un État membre ‘shall not … prejudice in any way the continued consideration of any matter which was already under consideration by the Court prior to the date on which the withdrawal became effective’ [souligné par nous]. Cette partie de l’article s’ajoute à une obligation de coopération pour les enquêtes en cours et devrait être interprétée comme signifiant, au minimum, que la compétence de la Cour est continue et que le Procureur peut poursuivre l’examen préliminaire qui aurait été ouvert avant que le retrait ne devienne effectif.
Le terme ‘any matter’ est large et doit être interprété comme incluant l’examen préliminaire qui fait partie intégrante des travaux du Procureur et est une étape nécessaire dans la décision du Bureau du Procureur d’ouvrir une enquête conformément à l’article 15 du Statut de Rome. Cela signifie aussi donc qu’une fois que le Bureau du Procureur est prêt, il peut requérir de la Chambre une autorisation pour ouvrir une enquête, et ce même après le retrait effectif (pour les crimes qui auraient été commis avant cette date). Une interprétation se fondant sur l’objet et le but du Statut de Rome exige une lecture qui empêcherait un État d’échapper à la compétence de la Cour en se retirant simplement du Statut de Rome.
Bien que le cas en l’espèce n’ait pas été directement abordé lors des travaux préparatoires du Statut, la terminologie de l’article 127(2) semble avoir été adoptée afin d’inclure la situation particulière à laquelle la Cour est actuellement confrontée, à savoir celle où un État membre se retire du Statut dans le but évident d’échapper à la compétence de la Cour.
Obligation de coopération
© ICC-CPI/Aleksandra Milic
Une question plus difficile est de déterminer si le Burundi se trouvera lié par une obligation de coopérer dans l’hypothèse où une enquête serait ouverte après le 27 octobre. La position d’Amnesty International est ici également affirmative. Cependant, les obligations auxquelles le Burundi serait tenues sont incertaines et reposent sur la question de savoir s’il existe une obligation continue de coopération dans l’hypothèse où le Bureau du Procureur décide d’ouvrir une enquête dans le futur. Au vu de la position du Bureau du Procureur et de l’interprétation restrictive du Chapitre IX comme s’appliquant seulement aux enquêtes et procédures pénales, il est possible de soutenir que la phase de l’examen préliminaire ne crée pas une obligation de coopération et qu’en tant que tel, le Burundi n’aurait donc pas une obligation de coopérer dans le cadre d’une enquête future. Toutefois, cette interprétation restrictive n’est pas définitive.
L’article 127(2) du Statut prévoit que le retrait n’affectera pas la coopération établie avec la Cour à l’occasion des enquêtes et procédures pénales à l’égard desquelles l’État avait le devoir de coopérer. Cette partie de l’article doit aussi être interprétée de manière souple, et d’ailleurs suivant une optique comparative, son contenu est plus large que l’article 86 qui dispose que les états ont une obligation générale de coopérer avec la Cour. Il pourrait aussi être soutenu que l’obligation générale de coopérer avec la Cour, que l’on retrouve à l’article 86, s’étend à toutes les activités de la Cour, y compris l’examen préliminaire, et qu’il existe donc une obligation pour les États de coopérer lors de cette phase.
Comme Olasolo écrivait : ‘The ultimate purpose of the cooperation scheme provided in the Rome Statute is to facilitate the Court’s exercise of any of its jurisdictional powers (not just its powers to investigate and prosecute) […] That would include the preliminary examination which is essential for the proper exercise by the ICC of the activation dimension of its jurisdictional powers’.
Par ailleurs, la phase d’examen préliminaire, à laquelle fait référence l’article 15 du Statut de Rome, est maintenant considérée comme partie intégrante et essentielle des activités d’enquête du Bureau du Procureur. Dès lors, l’examen préliminaire, qui est « ouvert » formellement par le Procureur, devrait aussi être considéré comme faisant partie, parmi les activités de la Cour, de la phase d’enquête en ce qui concerne la coopération avec la Cour, et devrait dès lors créer une obligation de coopération pour les États telle que mentionnée à l’article 127(2).
Il est vrai toutefois que, malgré l’intérêt académique de cette discussion, celle-ci risque de rester essentiellement théorique. Il est en effet extrêmement peu probable que le Burundi accepte de coopérer, le pays ayant déjà témoigné par le passé d’une absence de volonté de coopérer. Néanmoins, étant donné que la Cour retient sa compétence temporelle sur les crimes commis au Burundi avant le 27 octobre 2017, rien n’empêche celle-ci de mener une enquête dans le cadre de la situation du pays, et ce sans la coopération du Burundi. La Cour peut ainsi toujours émettre des mandats d’arrêt, même sans la coopération du pays. Une telle approche avait déjà été appliquée dans le cadre de son enquête relative à la situation du Darfour. Les États membres auraient l’obligation d’arrêter les individus faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour si la personne en question était amenée à se trouver sur le territoire d’un État membre. Il aurait bien sûr été préférable que le Burundi coopère, mais cela est toujours apparu comme invraisemblable.
Il n’aurait pas été raisonnable d’attendre du Bureau du Procureur qu’il clôture son examen préliminaire dans l’année avec une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Le Bureau devrait pouvoir poursuivre l’examen préliminaire de manière indépendante, en se basant sur les circonstances factuelles et les informations disponibles, et en résistant à toute pression politique, afin d’arriver à des conclusions fondées en droit. C’est uniquement de cette manière que le Bureau du Procureur peut sauvegarder son indépendance et son impartialité, et s’assurer que son mandat est exécuté dans l’intérêt des victimes de crimes internationaux.
Vous pouvez retrouver le communiqué de presse d’Amnesty International ici.